Partie de chasse
Casterman
Partie de chasse
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Le pitch
Lorsque Partie de Chasse est publiée en 1983, tout le monde croit encore à l'avenir radieux (ou redouté) du communisme. Bilal et Christin vont être parmi les tout premiers à peindre de l'intérieur l'état vermoulu du système.
Dix ans plus tard, l'URSS a sombré et ils écrivent une Epitaphe aux protagonistes du "socialisme réel" ayant disparu dans les poubelles de l'Histoire.
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Mon avis
Partie de chasse est un album majeur de la carrière d'Enki Bilal.
Première raison ? Il s'agit de la dernière collaboration de la grande époque (1975-1983) du génial graphiste avec le scénariste Pierre Christin, avant que Bilal ne se lance dans une carrière solo où il écrira désormais essentiellement lui-même le scénario et les textes (les deux hommes se retrouveront toutefois plus tard à deux reprises).
La deuxième raison est l'importance que l'album aura dans la littérature BD politique.
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40 ans après sa publication, il est toujours considéré avec respect par de nombreux lecteurs comme une œuvre quasi visionnaire, tant elle décrypte parfaitement, six ans avant sa fin, la décrépitude et l'affaissement du modèle révolutionnaire soviétique.
Si vous ne l'avez pas encore fait, plongez-vous dans cet étonnant one shot de 82 planches d'une incroyable densité narrative... pour autant que vous soyez un lecteur un minimum averti de l'histoire de l'URSS postérieure à la seconde guerre mondiale, car sinon vous serez probablement perdu par les innombrables références implicites du récit à la "vraie histoire".
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82 planches grand format, avec une mise en page et un découpage exemplaire, chaque planche affichant de petites et des très grandes vignettes, accordant ainsi, en alternance, plus d'importance au texte, ou aux décors.
Jamais, sans doute, le style de Bilal n'a été aussi équilibré, entre précision réaliste des lieux, des personnages, et poésie postimpressionniste des paysages et des ciels.
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Dans une ambiance de neige et de brumes, les terribles protagonistes de ce drame antique contemporain (oui, je sais, l'impression parait bizarre, mais elle est juste !) décrypte les horreurs du post stalinisme avec une froideur qui n'a rien à rendre aux paysages d'hiver.
Tous ces oligarques apparatchiks se révèlent aussi glaçant que la forêt d'Europe centrale où ils se sont retrouvés pour tirer le gros gibier.
Des êtres aux visages burinés, tannés par les ans et la vodka, les traits comme taillés à la serpe (c'est là le seul défaut de Bilal : il n'a jamais su - et ne saura jamais - créer de visages autres que ce modèle unique, au menton et au nez fort et droit).
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L'album commence et s'achève avec le personnage mutique de Vassili Tchevtchenko, incarnant lui tout seul la naissance et la mort de l'empire révolutionnaire.
Entre temps, le sang aura coulé en abondance sur la neige; et ce ne sera pas que le sang du gibier. Glaçant, vous dis-je...
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