Le pitch

Été 1914. L'Europe plonge dans une guerre dévastatrice qui va ébranler le système politique et les valeurs d'un continent entier. Une génération plus tard, alors que les survivants du premier conflit mondial sont encore choqués d'avoir vu sombrer dans la barbarie une civilisation qu'ils considéraient comme un modèle, l'Europe s'achemine vers une déflagration plus inhumaine encore : une guerre où le massacre de civils occuperait une place centrale et dont le point culminant serait le génocide des Juifs.

Le grand historien du nazisme Ian Kershaw livre une synthèse magistrale de ce premier xxe siècle européen ensanglanté par deux guerres mondiales et poursuit le récit de cette ère d'autodestruction jusqu'au moment où le continent émerge de ses ruines, recomposé en deux blocs, divisé par la guerre froide. Sa lecture restitue toute la cohérence de l'histoire européenne avec une maîtrise, une profondeur de vue et une vivacité inégalables, mettant notamment l'accent, pour rendre compte de cet enchaînement catastrophique, sur quatre facteurs : l'explosion du nationalisme ethnique, la virulence des révisionnismes territoriaux, l'acuité des conflits de classe et la crise prolongée du capitalisme.

Incisif, brillamment écrit, L'Europe en enfer est le livre de référence pour comprendre cette séquence fondatrice de notre présent.

Mon avis

Pour qui ont vécu le choc - il n'y a pas d'autres mots - de la monumentale biographie Hitler, il est évident que Ian Kershaw est incontestablement le plus brillant spécialiste de l'histoire de la première moitié du XX° siècle en Europe.

L'homme le plus légitime pour porter un sujet aussi vaste et complexe que L'Europe en enfer (1914-1949) ne pouvait donc qu'être lui, et la lecture de cette somme de connaissances, d'informations et d'analyse  justifie - oh combien ! - cette réputation.

Un petit avertissement : cet essai est réservé aux amateurs d'Histoire expérimentés.

La quantité d'informations contenue dans ce très épais volume et la précision extrême des analyses risquent en effet de décourager tous ceux qui ne sont pas déjà très au fait des grands traits - mais aussi des détails - de l'histoire européenne de la première moitié du XX° siècle.

Attention : cela ne signifie pas que Ian Kershaw écrit, comme nombre de ses confrères, comme s'il rédigeait une thèse réservée à des spécialistes : au contraire !

Le style de l'historien britannique est certes précis, rigoureux, mais il n'oublie jamais son lecteur.

Grâce à une technique de narration impeccable, digne d'un grand romancier, il articule son récit de façon suffisamment ingénieuse pour "incarner" l'Histoire dans la vie quotidienne des peuples dont il raconte la destinée.

Sur 600 pages serrées, le spécialiste britannique parcourt dans un ordre systématiquement chronologique (foin des méthodologies de la nouvelle histoire !) les trois décennies et demie qui voient l'Europe passer dans les deux lessiveuses des plus atroces guerres de l'histoire de l'humanité.

La première moitié de l'essai pêche - c'est là son seul défaut, qui empêche L'europe en enfer d'atteindre la perfection de son Hitler - par un souci excessif exhaustivité qui pousse Kershaw a n'omettre aucun pays dans son panorama.

Certains développements tournent parfois au catalogue factuel, un peu fastidieux pour qui ne tiens pas absolument à connaitre tous les détails de l'histoire hongroise des années 20...

Passés les prémisses, puis le déclenchement, le déroulement et enfin la sortie du gouffre de la première guerre mondiale, l'auteur s'attache à décrire les mécanismes qui poussèrent, inexorablement, l'Europe vers un second gouffre encore plus infernal.

C'est à partir du chapitre 7 (intitulé Vers l'abîme), au milieu des années 30, que l'ouvrage devient absolument fascinant.

Il reste alors à Kershaw 250 pages foisonnantes  pour décrire l'indescriptible...

Je ne vous en dit pas plus : amis amateurs d'Histoire, lancez-vous dans cette entreprise de découvertes et de mémoire.

A l'issue de votre lecture, vous ne comprendrez peut-être pas mieux les ressorts de la nature humaine, mais vous saurez pourquoi, aujourd'hui, après 70 ans de paix, nous devons rester terriblement vigilant.