Les grands chemins
Folio
Les grands chemins
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Le pitch
"Alors, il se met à tripoter son paquet de cartes comme s'il tirait sur un accordéon. Il le frappe, il le pince, il le soufflette, il le caresse, il l'étire et le referme. Il annonce : roi de pique, sept de carreau, trois de coeur, roi de trèfle, dame de coeur, neuf de pique, deux de carreau ; et chaque fois la carte annoncée tombe. Il jette le jeu de cartes dans le bassin de la fontaine et, quand il va y tomber, le jeu de cartes se regroupe dans sa main. Il me l'étale sous le nez en éventail, en fer à cheval, en roue, en flèche. Il fait couler les cartes de sa main droite à sa main gauche, en pluie, en gouttes, en cascades. Il leur parle, il les appelle par leurs noms ; elles se dressent toutes seules hors du jeu, s'avancent, viennent, sautent. Il raconte de petites saloperies à la dame de coeur et la dame de coeur bondit jusqu'à sa bouche..."
Mon avis
Chez Giono, immense auteur français qui a traversé les trois premiers quarts du XX° siècle en semant une pluie de magnifiques romans derrière lui, il y a clairement deux périodes.
La première court jusqu'à la seconde guerre mondiale.
On y trouve de merveilleux récits où sa langue inimitable s'attache avant tout à raconter la communion des hommes avec la nature magnifique, celle de la Provence où il vécut toute son existence.
N'hésitez pas à courir découvrir ou relire des textes comme Un de Baumugnes ou Que ma joie demeure, c'est un bonheur infini.
La seconde débute après la guerre.
Son expérience et le contexte terrible du temps qui passe le pousse à creuser la matière si difficile de la nature humaine.
Dominée par le terrible chef-d'oeuvre Le hussard sur le toit, on y trouve également le difficile Les grands chemins.
Je qualifie ce roman de difficile car, ni dans la forme, ni dans le fond, Jean Giono ne cherche à séduire le lecteur.
Le scénario, parfaitement linéaire, déroule l'errance du personnage principal (dont on ignore le nom) qui est également le narrateur, le long des collines et des villages de la Provence.
De petits boulots en petits boulots, il voit défiler les saisons et vit au jour le jour de ses multiples connaissances acquises au fil du temps.
Dans cette errance, il est seul, sans attache. Jusqu'au jour où il croise le chemin d'un autre homme qui parcourt comme lui les grands chemins.
C'est l'histoire de l'amitié contre-nature qui, un temps, réunit les deux hommes, que déroule Jean Giono.
Le ton du roman ne quitte quasiment jamais la teinte désabusée et souvent misanthrope des pensées du narrateur.
On y retrouve parfois le style inimitable de Giono, ses longues descriptions imagées de la nature, mais le poids des réflexions du personnage principal et les dialogues hachés entre les habitants des petits villages qu'il traverse entrainent sans cesse le récit vers le bas.
Récit qui s'achève de manière abrupte, terrible car le lecteur comprend que le parcourt du héros sur les grands chemins est comme un tour sans fin sur le manège d'une vie qui tourne indéfiniment.
Cette perception tout en mineur de la nature humaine, cette impression de chacun pour soi, pourra - pour certains lecteurs, dont je fais partie - teinter la lecture du roman d'une légère déception.
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