Le canard enchainé, 100 ans

Un siècle d'artistes et de dessins

Patrick Rambaud , & Collectif

Le Seuil

Partager sur :

Le pitch

Né dans le fracas de l'été 1916, en pleine Première Guerre mondiale, Le Canard enchaîné fait clairement le choix, dès son premier numéro, de rire et faire rire de ce qui est à pleurer : " Mon premier mouvement, quand je vois quelque chose de scandaleux ", répétait son fondateur Maurice Maréchal, " est de m'indigner, mon second mouvement est d'en rire. C'est plus difficile, mais autrement plus efficace. "

Bataillant contre toutes les censures, contre les " bourrages de crâne ", les intolérances, les abus de pouvoir, et les mensonges d'état, le journal, fidèle à cette ligne, a traversé gaillardement un siècle d'histoire en n'épargnant aucune autorité. Il est resté indépendant n'appartenant qu'à ses salariés. " L'hebdomadaire satirique paraissant le mercredi " ne vit depuis cent ans que de ses lecteurs.

Sans publicité, il a su sauvegarder, sous trois Républiques, les moyens d'une indépendance économique et donc d'une liberté qui font aujourd'hui figure d'exception. Cette liberté de moyens et de ton confèrent à l'hebdomadaire que de Gaulle nommait " Le Volatile " sa force et sa crédibilité, y compris auprès des puissants qui, chaque semaine, y sont brocardés. C'est de cet " esprit Canard ", désormais séculaire, que plus de deux mille articles et dessins réunis dans ce livre retracent l'histoire.

De son côté l'écrivain Patrick Rambaud, chargé d'assurer la chronique d'un siècle de Canard, a choisi d'en faire un roman, riche d'anecdotes savoureuses et de personnages hauts en couleur.

Mon avis

En France, on est "canard", ou on ne l'est pas. Être "canard", c'est faire partie des centaines de milliers de lecteurs qui, chaque semaine ou chaque mois, régulièrement ou en fonction de l'actualité et des scoops (le dernier d'une très longue série étant celui de janvier 2017 sur Fillon) passent chez leur marchand de journaux et s'offrent le seul journal sans aucune publicité (aucune !).

Quand on est devenu "canard", on l'est, en général, pour la vie. Pour ma part, je dois l'avouer, je fais partie du troupeau de palmipèdes...

Tout ce préambule pour expliquer que ce magnifique album, au format conséquent (24*31 cm), sorti pour les cent ans de l'hebdomadaire (comme son nom l'indique) est strictement réservé à cette secte bizarre : ceux qui n'ont pas les pattes palmées ni verront qu'un intérêt plus que limité (un intérêt historique, peut-être ?).

Les volatiles, eux, prendront un plaisir extrême à feuilleter cette très conséquence compilation (plus de six cents pages) des meilleurs articles du journal qui fait peur à ceux qui ont quelque chose à cacher.

canard-enchaine-seuil-1

Dans une présentation strictement chronologique, scindé en treize chapitres aux titres évocateurs ("Les années  Mongénéral", "Les années Tonton", "Les années bling-bling") c'est en effet un siècle de scandales et de révélations, d'humour, de bons et de mauvais jeux de mots, d'analyse politique et économique qui défilent sous les yeux du lecteur.

Très beau papier blanc, mis en page impeccable, impression topissime : cela fait tout drôle de voir le canard si beau et propre sur lui (d'habitude, sa présentation hebdomadaire fait un peu grise mine...).

Sur le fond, c'est un plaisir de retrouver, ou découvrir l’actualité d'un siècle sous le prisme de l'analyse caustique d'une presse vraiment indépendante. Des scandales à l'époque considérés comme monstrueux paraissent maintenant souvent anecdotiques, d'autres sont devenus de véritables symboles, augurant des dérives à venir.

*

111544206_o

*

C'est passionnant, surtout que la maquette fait la part belle (c'est normal, comme dit l'expression ringarde : c'est l'ADN du journal !) aux dessins et caricatures, avec tant d'illustrateurs majeurs (je pense particulièrement à ceux disparus, assassinés en 2015, Cabu, Wolinski...).

Enfin, cerise sur le gâteau (quitte à utiliser des expressions ringarde, autant y aller à fond !), on trouve au centre de l'album (sous une tranche jaune, aisément identifiable, Le roman du canard, une véritable histoire du journal, écrit par Patrick Rambaud, un des meilleurs auteurs français (tiens, profitez en pour faire un tour du côté de La bataille, prix Goncourt  1997, ou Chroniques du règne de Nicolas Ier !). Un très long texte, de la dimension et de l'ambition d'un véritable roman, qui vous réjouira de son humour caustique.

L'ouvrage a un prix élevé (49 €) mais, compte tenu du temps que vous allez passer à le lire et le relire, c'est un excellent investissement, pour soi, ou pour un cadeau à un palmipède de vos amis !

 

Acheter sur Amazon

Du même auteur