La couleur des choses
ça et là
La couleur des choses
ça et là
Le pitch
Simon, un jeune anglais de 14 ans un peu rondouillard, est constamment l'objet de moqueries de la part des jeunes de son quartier, et il est recruté pour toutes sortes de corvées. Un jour où il fait les courses pour une diseuse de bonne aventure, celle-ci lui révèle quels vont être les gagnants de la prestigieuse course de chevaux du Royal Ascot. Simon mise alors secrètement toutes les économies de son père sur un seul cheval, et gagne plus de 16 millions de livres. Mais quand il revient chez lui, Simon trouve sa mère dans le coma et la police lui annonce que son père a disparu.
La couleur des choses de l’auteur suisse Martin Panchaud bouscule les habitudes des lecteurs et lectrices de bandes dessinées ; le livre est intégralement dessiné en vue plongeante sans perspective et tous les personnages sont représentés sous forme de cercles de couleurs.*
Mon avis
Depuis que la BD existe - un siècle et des brouettes -, elle n'a cessé d'innover et de se réinventer, tant dans la forme que dans le fond.
Cependant, les véritables innovations, les créations disruptives (désolé, j'ai horreur de cet anglicisme mais il traduit bien le concept de rupture importante) sont rares.
C'est pour cette raison qu'il faut saluer et parler de l'album de Martin Panchaud, un auteur suisse qui reconnait n'avoir lui même aucune connaissance technique graphique ni aucune prédisposition pour créer une BD.
Le principe ? Dérouler sur 220 planches une histoire "classique" (une intrigue proche d'un thriller urbain) en "tordant" la vision graphique traditionnelle (des vues, enfermées dans des vignettes, avec des bulles pour faire parler les personnages) pour la transformer en schémas symboliques.
Dans chaque planche, des cases réparties à chaque fois différemment (forme, nombre) sur fond blanc.
Dans chaque case, la vision d'une scène "vu de dessus", selon un graphique schématique.
Et des personnages, tous représentés par un symbole, un rond de couleur.
Les personnages parlent : leurs dialogues sont représentés par une ligne qui part du rond de couleur et aboutit au texte, posé sur le fond blanc de la page.
Oui, je sais, vu comme ça ce n'est pas très clair. Alors regardez les quelques exemples que j'ai placés ici. Capice ? Bon, je continue...
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Cette désincarnation de la représentation classique des personnages et des décors d'une histoire est profondément perturbante pour le lecteur.
Mais, au bout de quelques minutes, le cerveau s'adapte, s'habitue et c'est finalement le script, l'histoire qui reprend le dessus et qui finit par captiver le lecteur, jusqu'à ce que le cerveau soit de nouveau happé, interloqué, par une nouvelle création conceptuelle de l'auteur.
J'ai avalé les 200 planches sans me forcer, mon intérêt aiguillonné par un scénario plutôt malin et par la succession permanente de "trucs" visuels proposés par Martin Panchaud.
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Vouloir déstructurer à ce point la manière traditionnelle de faire de la BD est vraiment stupéfiante, et il n'est pas étonnant que les professionnels du genre ait récompensé cette création en attribuant à l'album le Fauve d'or du meilleur album 2023 à Angoulême.
Cette tentative "artistique" (car c'en est une) devrait rester, je pense, unique, car une fois le concept déroulé une fois, il n'a pas vocation à être reproduit car - il faut bien l'admettre - il "assèche" considérablement ce qui fait une bonne partie du charme et de l'intérêt d'une BD.
Quoiqu'il en soit, je vous conseille fortement la lecture de La couleur des choses : une expérience intellectuelle que vous n'oublierez pas de sitôt !
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