Le pitch

La création est un acte délicat. Elle l’est plus encore lorsqu'il s'agit de donner une nouvelle vie à un personnage aussi mythique que Peter Pan. Régis Loisel s'est pourtant attelé à la tâche avec grâce et humilité, mêlant ainsi les ambiances féeriques et lumineuses de James Matthew Barrie aux atmosphères londoniennes sombres mais romantiques de Dickens. Non content de s’approprier avec brio un classique de la littérature, Loisel fit entrer le lecteur ébahi dans les méandres tourmentés de la psychologie humaine, maniant avec honnêteté des notions délicates et taboues, comme la maternité non assumée, la violence des enfants, la vengeance, le complexe d’Œdipe…

«Mon album est à la croisée de toutes les enfances et son histoire recueille cette substance merveilleuse, alchimie du rêve et de la réalité qui s'envole sans que nous le voulions quand nous devenons grands. Il y a de la magie, de la poésie mais aussi énormément de souffrance et de cruauté dans ce monde là...» Régis Loisel

*

Mon avis

Revisiter un des mythes les plus connus et puissants de l'histoire littéraire : voilà le défi que s'est lancé Régis Loisel en 1990 en entamant l'incroyable adaptation du Peter Pan de J.M. Barrie.

15 ans et 320 planches plus tard, l'auteur bouclait son entreprise après avoir tenu en haleine des centaines de milliers de lecteurs.

Le résultat de ce travail de titan ? Une œuvre hors norme, fascinante, discutable et discutée encore aujourd'hui.*

*

Loisel ne s'était lancé dans l'entreprise sans expérience : l'entreprise de L'oiseau du temps lui avait appris, dans les années 80, à développer avec énormément de succès une saga fantasy sur la durée.

Mais cette fois-ci, il partait d'une œuvre archi-connue et adorée par tous les gamins du monde (pour l'adaptation en dessin animé de Walt Disney) et quantité d'adultes (pour le roman original de Barrie, un chef-d'œuvre.

*

*

Il faut tout d'abord, et avant tout, parler des graphismes. Régis Loisel est un des plus grands dessinateurs et coloristes français, avec ce qui caractérise les plus grands artistes : une patte unique, immédiatement reconnaissable.

Avec son trait crobardé, épais, ses couleurs vives et ses contrastes hyper accentués, il est à l'aise aussi bien dans les atmosphères réalistes (une bonne partie de l'histoire se déroule dans le Londres de la fin du XIX° siècle) et que dans les décors merveilleux du monde imaginaire.

C'est avec les personnages qu'il est le plus à l'aise : une fois l'album refermé, impossible d'oublier la trogne du capitaine Crochet ou les courbes girondes de la fée clochette !

*

*

Côté scénario, l'entreprise démarre de manière formidable et les quatre premiers albums sont absolument inoubliables.

Loisel a choisi de prendre le mythe par le petit bout - si je puis me permettre l'expression - en imaginant les prémisses de l'histoire de Barrie : comment Peter Pan et les personnages du monde imaginaire ont été crées et en sont arrivés là où commence le roman de l'auteur anglais.

C'est extrêmement malin, puisque cela lui permet de (re)créer toute une mythologie qui ne demandait qu'à être imaginé.

*

*

Mais Loisel n'a pas choisi la facilité, car il aborde cette recréation de Peter Pan en l'ancrant dans un réel que n'avait pas imaginé Barrie.

La toile de fond londonienne est proche de celle d'autres mythes de la littérature (Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde) ou de la réalité (Jack l'éventreur). On est là souvent bien loin du merveilleux, mais plutôt dans le sordide, le glauque...

*

*

Cette option scénaristique est une vraie réussite pendant les deux tiers de la saga, un gros piège (et probablement une erreur) au cours du dernier tiers, car Loisel choisit alors de prendre un chemin peu compréhensible (a minima) et même, pour de nombreux lecteurs, inacceptable (je n'en dirais pas plus, pas de spoil !) car contraire à l'"esprit" même de l'œuvre de Barry.

Pour ma part, je vous recommande la lecture de ce pavé qui vous tiendra en haleine de longues heures, même si, selon moi, la fin de la saga n'est pas à la hauteur de mes espérances.