Imaginez : un ami, un proche passe à votre domicile pour vous dire bonjour.
La conversation s’engage, vous plaisantez, échangez. Comme c’est un type curieux, il se déplace dans la pièce tout en discutant. Soudain, il remarque un livre rangé dans votre bibliothèque ou posé sur une table basse (les tables où on pose les bouquins sont toujours basses).
A cet instant précis, vous voyez son visage plein de bonté et de naïveté s’éclairer d’un fol espoir, tandis qu’il s’exclame :
« Tiens, mais c’est le dernier [j’évite les noms d’auteur, pas de publicité !], ça fait une éternité que j’ai envie de le lire ! Tu en pense quoi ? Tu me le prêtes ? »*
Un moment d’introspection : vous avez certainement déjà vécu cette situation. Elle parait d’une grande simplicité, mais elle est, en fait, d’une complexité psychologique effroyable.
La réponse ? Pas si simple ! Voyons un peu car… cela dépend du livre !
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Prêter ses livres : bonne ou mauvaise idée ?
Hypothèse n°1 : le bouquin est une bouse infâme
Si votre réponse à la question « T’en penses quoi ? », est :
« Cette daube est encore pire que le dernier [j’évite les noms d’auteur, pas de médisance !]. Si, je t’assure, je sais que cela parait difficile à croire, mais pourtant je te jure que si tu le lis tu vas vomir puis mourir dans d’atroces souffrances, comme le jeune Werther… »,
alors surtout, surtout, évitez de lui répondre franchement et tentez plutôt une démarche pragmatique !
*
Visiblement, il a envie de lire ce bouquin.
Alors pourquoi gaspiller votre salive pour lui expliquer que vous l’avez détesté ? Pourquoi lui refuser cette petite parenthèse de bonheur ?
Et puis après tout, peut-être va-t-il adorer cette bouse infâme, lui !! Tous les goûts sont dans la nature ! Imaginez la joie de l’auteur, qui aura enfin trouvé un public !
Alors, mettez lui le livre entre les mains et empressez-vous de lui prêter ce chef-d’œuvre dont la lecture a fini de vous dégoûter de [j’évite les noms d’auteur, pas de médisance !] !
Oui mais, allez-vous rétorquer avec ce sens de la répartie qui vous caractérise si bien : et si votre pote ne vous rend jamais cet ouvrage, ce malhonnête qui a eu le mauvais goût d’adorer ce ramassis de paragraphes incohérents ?
Ma réponse est simple : réfléchissez, cela n’a aucune importance ! Vous n’en ferez pas une maladie puisque, rappelez-vous, vous ne l’avez pas aimé (le livre, pas le pote) !
Bon débarras, en fait, un peu de place sur votre table basse, merci le poteau !
Hypothèse n°2 : le bouquin est un putain de chef-d’œuvre
Et si, par contre, votre réponse spontanée à la question « T’en penses quoi ? » est positive, voire enthousiaste ?
Si, après avoir refermé le volume, vous vous rappelez vous être exclamé :
- « Ce polar, c’est Millenium croisé avec Shutter Island ! », ou bien
- « Waouh : ce roman, c’est Anna Karénine puissance deux ! » voire même
- « Un chef-d’œuvre, pareil, on voit bien que ce n’est pas ce bourrin de [j’évite les noms d’auteur, pas de médisance !] qui l’a écrit !
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*
Alors, vous voilà dans une situation beaucoup plus difficile. Une alternative (deux possibilités !) :
Pour vous, le livre n’est qu’un objet
Imaginons : depuis votre plus tendre enfance, vous considérez le livre comme un objet sans importance, un meuble standard, périssable (je mets à part les bibliothèques Billy Ikéa, indestructibles !), et interchangeable.
Un produit industriel, donc, au même titre qu’une ampoule électrique, une boîte de sardine ou une bouteille de Bordeaux (quoique, pour le Bordeaux…) ?
Alors, no problemo ! Prêtez votre polar de feu à votre pote, en espérant qu’il vous le restituera, et en bon état !
Parce que même s’il omet de vous le rendre, où est au fond la complication ?… puisque vous en avez déjà tiré tous les plaisirs possibles (je parle du livre, bien sûr), vous n’allez pas en faire une maladie !
Et si, un jour lointain, il vous prend l’envie de le relire, eh bien vous n’aurez qu’à le racheter, c’est tout bénef pour votre libraire et l’édition française !
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Pour vous, le livre a une âme
Là, nous voilà confronté à une situation est beaucoup plus grave.
La notion de livre-objet vous est étrangère ?
Pour être sincère, vous pensez que ces amas de feuilles couvertes d’encre et collées ou cousues entre elles ont une âme ? Peut-être doit-on même envisager une vie après la mort de votre exemplaire des Liaisons dangereuses ?
Dans ce cas, soyez courageux, il faut l’avouer : vous êtes mal barré. Car la simple idée de prêter ce livre vous dérange ; non, soyons honnête : elle vous est totalement insupportable !
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Un cauchemar éveillé !
Même s’il s’agit de votre meilleur(e) ami(e), tout au fond de vous, vous savez qu’il y a de fortes probabilités pour qu’une catastrophe d’une dimension fondamentale survienne.
De multiples visions cauchemardesques passent devant vos yeux…
My god ! Il est même envisageable…
- Qu’il ne vous le rende jamais ! Parce que pour lui, ce n’est guère plus qu’une bouteille de Bordeaux (enfin… vous saisissez l’œnologie, enfin… l’analogie…)…
- Ou qu’il l’égare…
- Ou qu’il le prête à quelqu’un d’autre, l’infâme !
- Ou pire, qu’il vous restitue le cher chef-d’œuvre, mais dans un état !!…
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… imaginez alors, posé sans ménagement sur la table devant vous par le cuistre étranger à vos affres esthétiques, un livre…
- … corné ? Quelle horreur ! Mais comment un être sain d’esprit peut-il corner un livre ? Alors qu’il y a de si merveilleux marque-pages, jolis, résistants, efficients !
- … déchiré, émasculé ? Vous constaté, vert, décomposé, qu’il manque les deux premières pages et les deux dernières au dernier Michael Connelly, Aaaargh !
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- … maculé ? Avec des tâches, partout ?! Des tâches qui cachent les mots, ou qui gâchent l’émo ! Et des tâches de quoi ? C’est quoi ce truc verdâtre qui s’étale sur la page 56, au moment où le meurtrier va… Du pesto ? Une grenouille trop mûre écrasée ? Une déjection corporelle ? Aaaargh
- … trempé, inondé, puis séché ? Un livre qui suite à ces manipulations a triplé de volume et ressemble à une édition du dernier livre de Sarkozy qui aurait séjourné dans votre baignoire après qu’il vous soit tombé des mains ? (le livre, pas Sarkozy, suivez un peu, que diable !!??).
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Vous voilà face à un dilemme insoutenable !
Bref, vous l’avez compris, ressenti dans votre chair : une succession de catastrophes hallucinantes défilent devant vos yeux écarquillés…
Lorsque le supplice a duré un peu trop longtemps pour ne pas vous faire vraiment, vraiment mal à l’esthétique bibliophile — vous savez, cette minuscule glande placée sous le corps calleux, qui a poussé subrepticement tandis, qu’enfant, vous lisiez un Agatha Christie planqué sous votre couette, une lampe de poche à la main —, vous devez bien vous l’avouer : vous n’avez aucune envie de prêter votre livre chéri à votre ami, cet ami qui est… qui est-il, après tout, si ce n’est un être abject qui passe ses journées et ses nuits à détruire des bibliothèques entières à coup de lance-flammes, en un autodafé digne de la nuit de cristal ?
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Comment ça mes phrases sont trop longues ?
Vous n’aimez pas les phrases longues, avec plusieurs propositions subordonnées, de multiples signes de ponctuation, des incises, au point qu’à la fin vous ne savez absolument plus ce que tout cela veut dire ?
Pas de chance, avec moi vous êtes mal barré !
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Alors que faire ?
Première solution : évidente, mais dangereuse !
Première possibilité : vous pouvez choisir de vous fâcher définitivement avec le vil emprunteur.
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Corollaire : vous risquez de vous retrouver vraiment sans potes.
Faite appel à votre mémoire avant de prendre une telle décision.
Ne perdez pas de vue que cette scène s’est déjà déroulée plusieurs fois par le passé avec d’autres êtres qui vous étaient chers !
Et qu’elle se reproduira encore, fatalement, avec les rares amis qui ont eu le courage et la gentillesse de vous fréquenter jusqu’à maintenant malgré votre caractère épouvantable et votre manque de générosité !
Avouez : cela serait un peu dommage… N’oubliez jamais que le proverbe « Un de perdu, dix de retrouvés » s’applique en fait très, très rarement aux proches, surtout lorsqu’il s’agit de votre cher(e) et tendre…
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Deuxième solution : simple, mais onéreuse !
Puisque vous avez été très aimable de me suivre jusqu’à ce point crucial, je vais donc vous révéler la solution, si ce n’est idéale — elle va vous coûter un bras —, au moins la moins pire.
Voilà mon conseil, fruit d’une longue expérience de lecteur compulsif et néanmoins complètement névrosé :
lorsqu’un ami vous demande de lui confier un de vos livres préférés, ne lui prêtez-pas : donnez-lui !
Puis, dès son départ, courrez acheter un nouvel exemplaire du volume chéri pour remplacer le regretté disparu !
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Vous verrez que cette solution n’a que des avantages :
- Vis-à-vis de votre relation, vous apparaissez comme la Générosité personnifiée (avec un grand G) ! Prêtez-vous ? Fi, non : vous offrez !
*****Votre ami vous en sera éternellement reconnaissant… ou au moins jusqu’à la prochaine fois.
Et il se sentira l’obligation de lire pour de vrai le bouquin, au lieu de le balancer n’importe où en rentrant chez lui, car il mettra un point d’honneur à pouvoir en parler avec vous la prochaine fois que vous vous rencontrerez !
Mieux : il rejoindra le cercle sans cesse élargi de vos amis pour la vie !
- Pour vous, c’est une occasion inespérée de récupérer un exemplaire neuf du livre que vous chérissez tant !
*****Rendez-vous compte : un volume tout propre, sans poussière, sans cassure du dos ! Jamais lu, jamais ouvert : magnifique, digne de votre bibliothèque de névrosé du livre !
Imaginez, fantasmez : si vous prêtez tous vos livres en les offrants, vous finirez par détenir une telle collection de livres neufs que vous pourrez vous lancer dans le commerce et ouvrir une librairie, votre rêve depuis toujours !
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Merci La vie d’un lecteur !
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